Feb 19, 2017

Dressing-codes

Techniques mixtes (détail) - 2013

La matinée de ce dimanche de février avait ouvert au printemps une première brèche dans l'hiver. Un petit soleil presque tiède baignait la place Charles de Gaulle. Devant Monoprix, short en jean court et vieille veste militaire kaki du surplus, Émilie attendait sa copine et gardait leurs deux trottinettes.

Un vieux monsieur, chaud manteau Olligan, écharpe écossaise en shetland et belles chaussures cousues goodyear, traversa l'ombre encore glaciale que la grande façade du magasin projetait sur le trottoir sous le soleil bas de février. La tenue légère de la jeune fille lui arracha un sourire.

- Ce n'est pas encore le printemps, jeune fille! Je vois que tu as hâtes que les beaux jours reviennent. Moi, aussi! Mais patiente encore un peu, tu vas prendre froid. Couvre-toi, ma belle!

Il y avait dans ses mots un ton de moquerie bienveillant et attendri. Dans le regard amusé du vieil homme, le short très court d’Émilie lui semblait incarner toute cette énergie vitale de la jeunesse qu'il sentait impatiemment attachée à l'arrivée des saisons de soleil. Les semelles goodyear de l'homme s'éloignèrent et traversèrent la place animée. Un sourire flottait encore sur les lèvres du vieux monsieur, enivré de sa bienveillance amusée pour Émilie; vraiment très satisfait de lui.

Devant les portes de Monoprix, Émilie se sentit envahie par la honte. Honte de n'avoir qu'un seul jean correct à porter et qui tournait en ce moment dans le tambour du lave-linge du lavomatic. Elle avait profité de cette belle matinée ensoleillée de février, presque douce, pour donner à sa mère son unique pantalon à laver dans la tournée hebdomadaire de linge familiale, et en attendant, avait espérer sortir en short sans être trop ridicule. Émilie se cru démasquée dans les moqueries du monsieur, et la honte, grande prédatrice des âmes tendres, qui depuis quelques années déjà avait reniflé dans la pauvreté et la jeunesse d’Émilie une petite proie facile, qui s'était installée dans son cœur, profitait des mots du vieil homme pour y diffuser une nouvelle dose de poison. 

Quand donc reviendraient les beaux jours chauds, les vrais, ceux pour lesquels Emilie pourrait ressortir son jean troué, ses deux leggings Mim qui boulochaient, ses pauvres petits hauts élimés, et cacher sa pauvreté dans les dressing-codes destroy-grungy qui s'étalaient déjà sous les étiquettes Nouvelle Collection des plus belles vitrines du centre-ville?

Vernon - 02/2017

No comments: