Apr 19, 2019

Salut don Sallustre!


La Folies des grandeurs - Gérad Oury - 1971

L'homme est grand et beau; la quarantaine conquérante, peut-être appuyée sur de nombreuses conquêtes d'ailleurs; sûr de lui en tout cas. Un beau mec, type occidental. Doudoune rouge vif chic; chemise chère.

Devant la vitrine, sous le petit soleil chaud d'avril, l'homme beau arrête sa conversation avec la patron de la boutique de fringues pour celui qui s'avance vers eux pour les saluer. Celui qui s'avance vers eux, c'est un petit homme brun et trapu, turque peut-être, avec son pantalon moucheté de plâtre; deux tee-shirts de travail sur le dos: un gris troué, Columbia à manches courtes au-dessus, un autre bleu-gris à manche longues en-dessous, qui lui couvrent les bras jusqu'aux poignets. Un ouvrier du bâtiment apparemment.

L'homme beau salue l'ouvrier avec un check et une main posé affectueusement dans le cou de l'ouvrier. Une main qui possède.

Saluerait-il ainsi s'il rencontrait dans cette rue un autre homme beau, européen, en doudoune fashion et jean de marque comme lui? Y-a-t'il d'ailleurs un salut réservé à ceux de sa classe sociale? Doit-on saluer avec celui d'emprunt d'une autre classe pour paraître généreux et hospitalier avec ceux de cette autre classe?

Ne faut-il pas rester sois-même?

Il y a un doute. Doute sur le naturel du check et de la main dans le cou de l'ouvrier. Les gestes d'un seigneur. Pourquoi l'homme beau ne saluerait-il pas comme on lui a sûrement appris dans son Europe occidentale? L'autre, l'ouvrier n'y serait pas sensible? Serait-ce trop à comprendre et à accepter pour ce petit homme trapu? On salue comme ça dans le bâtiment?

Je m'interroge alors que je ne devrais pas devant cette scène si banale. Ces interrogations m'interrogent...

Le petit homme trapu connaît au moins deux langues, deux systèmes de valeurs, de totems et de tabous sociaux, deux cultures, deux façons de faire des pauses pour fêter l'année qui avance: les nôtres qui sont les siens maintenant, et ceux de ces lointains ancêtres. Le petit homme voit le monde à 360 degrés. Il voit large et comprend large, de fait. Il a sûrement deux fois plus de vocabulaire, de noms et de verbes que le beau pour comprendre un salut qui n'est pas comme le sien.

L'homme beau croit voir large.

Je me fais des films! Tout est toujours plus compliqué; tout est toujours plus nuancé et échappe toujours aux analyses de comptoir.

Mais il y a ce doute, ce léger malaise à voir cette scène. Le doute est apparu. Il faut le prendre en compte. 

L'homme beau est sûrement bon et sincère (il faut toujours parier au premier abord que les gens sont bons et sincères), mais il véhicule des gestes et des attitudes qui le posent dans la vie là où d'autres n'iront jamais.

Comme nous le faisons tous à longueur de journée avec notre langage du corps.

Vernon - 04/2019

   

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