Aubevoye 08/2015
Deux choses
décisives avaient déterminé Romain à s'engager dans une carrière
de physicien.
La première fut en quelque sorte, comme une
révélation : un scientifique médiatisant la science avait
dit lors d'une conférence à laquelle Romain avait assisté, que la physique quantique n'était pas
vraiment explicable avec des mots, et que l'on ne pouvait comprendre
en profondeur cette prodigieuse description du monde qu'en se
plongeant dans son formalisme mathématique.
- Si le
langage du monde est mathématique, alors je veux faire des maths !
s'était dit Romain. Je veux parler le langage du monde !
Sa vocation était née. Romain
était alors un jeune homme avide de questionnements ontologiques. Son Eldorado sera la
recherche fondamentale en physique. On venait de lui indiquer à la fois le but et la
route à suivre. Ils étaient tous les deux en partie mathématiques.
Le deuxième élément qui engagea Romain dans les
sciences jusqu'à faire une thèse et diriger ensuite un laboratoire de physique nucléaire fut
d'ordre esthétique. Quoi de plus beau dans le formalisme
mathématique que le graphisme de la lettre psi qui désigne la fonction d'onde d'une particule? Quoi de plus
beau que psy-de-x-et-de-t ? Alors qu'il était en thèse, il
éprouvait encore un vif plaisir à trouver au détour d'une page, à écrire même ce symbole mathématique. Le premier que l'on rencontre quand on s'engage dans l'étude
de la physique quantique. Le premier qui annonce les mystères de cette
renversante description du monde. Le premier qui promet de l'étrange, qui vous dit que, ça y est, vous entrez dans
l'incroyable, que psi c'est le panneau au-delà duquel, plus rien n'est comme vous
l'avez toujours cru, que ça va décoiffer! - Attachez vos ceintures : c'est vrai et fou
à la foi ... On va vous vriller le cerveau!
Psy-de-x-et-de-t, la plus belle notation pour Romain. Graphiquement dynamique
et équilibrée, élégante, attirante, irrationnellement et belle. Une empreinte de patte d'oiseau dans la neige, un chandelier, le totem, le trident de Poséidon, une griffure nerveuse et rebelle adoucie par les rondeurs des parenthèses enserrant x, virgule et t.
Était-il fou de ressentir ça? Qui dans le labo pouvait comprendre ça? Romain n'avait jamais parlé à personne de son approche esthétique des équations. Dirac recherchait leur beauté mathématique, avait-il été sensible lui-aussi, comme Romain, a leur beauté plastique?
En y repensant
maintenant, c'est cette notation qui déjà, adolescent, avait à chaque fois attiré
son œil en arrière-plan de photos de physicien célèbres avec leur regards fermés, au milieu du fatras des équations des tableaux noirs, psy-de-x-et-de-t
émergeait du tableau, telle une balise désirable, blanc sur noir, rayonnante et magnétique.
Le monde ne parlait pas que mathématiques. Le monde parlait aussi le langage des émotions. Les équations offraient aux yeux de Romain chair et rondeurs. Des hauteurs de nefs de cathédrales s'ouvraient alors dans son cœur. Il aurait presque pleuré. Romain avait trouvé un itinéraire bis pour rencontrer ce monde.
Aubevoye - 08/2015
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