Romain
arriva le premier, un quart d'heure en avance.
Il ouvrit le bureau, posa son sac et sa veste, badgea à la grosse
porte métallique au fond du couloir et entra dans la nef sombre
toute endormie. Seuls les écrans des ordinateurs brillaient dans
l’obscurité, veilleurs de nuit imperturbables et toujours fidèles au poste. Romain tourna les quatre
interrupteurs de l’éclairage au tableau électrique. La nef s’illumina progressivement,
découvrant la grosse carcasse métallique et familière du moyen d’essais portant
silencieusement ses vannes, ses détendeurs, ses lignes et
conduites, chemins de câbles, poutrelles et escaliers, ses caillebotis. A plus de quinze mètres au-dessus de
la plateforme d'essais, l’intensité des lampes au sodium augmentait rapidement, comme dans un jour artificiellement accéléré.
Romain
ressorti du bâtiment prendre un pull dans sa voiture. Le parking
était vide à cette heure. Là-haut, à l’étage, les trois
rectangles de lumière des fenêtres du bureau poinçonnaient le bleu
de la nuit. L’air était vif et très transparent. Bien
avant les premières lueurs de l’horizon, à cette heure
fragile du petit matin, on sentait que quelque chose dans la nuit
encore noire allait céder à la pression du jour à venir. Ça se sentait. Quelque chose comme
l’immobilité précaire de la mer à l’étale juste
avant le reflux des eaux. Une belle journée se
préparait. Expérience banale et émouvante du jour qui va se lever.
Romain formula le souhait pour les années à venir, de ne jamais être écarté de ce moment
magique, jamais! Que toujours, il puisse reprendre son souffle dans cet instant où les hommes appartiennent au Monde.
Et
puis, comme dans un flash, ses pensées s’assombrir. Les trois
carrés de lumière du bureau lui évoquèrent subitement ceux des
fenêtres de l’hôpital de Vernon que Romain ne manquaient jamais
d’interroger quand il passait en voiture dans l’avenue, les
matins d'hiver, pour se rendre à son travail. Il supposait des
malades, des souffrants, des geignants, des cancéreux, des mourants derrière chacun des petits
carrés jaunes perçant la façade du bâtiment.
-Peut-on
encore goûter la paix magique d’un jour qui va se lever quand on
est à l’hôpital, dans les chambres surchauffées, avec toute une plomberie qui s'enfonce dans les avant-bras, le bide et les trous de nez? Peut-être qui oui ... On doit pouvoir toujours s'évader hors-les-murs quand on sent que ça commence à craindre et qu'on veut rester quand même debout dans sa tête. Ça doit être possible.
Romain
se ressaisit. Il n'était pas à l'hôpital! Non, pas encore! Un instinct
de bête sauvage le replongea dans la profonde quiétude de ce
petit matin. Il s'assit parterre, sur le bord du trottoir à l'entrée
du bâtiment, face au silence. Il ne ressentait plus le froid. Et puis au
bout de l’allée centrale, là-bas, il aperçu les phares des
voitures de ses deux compagnons d'équipe qui s’annonçaient au poste de garde.
Romain retourna dans la nef, il fallait maintenant penser à préparer les essais de la matinée.
Aubevoye - 09/2015

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