Sep 11, 2015

Equipe du matin



Romain arriva le premier, un quart d'heure en avance. Il ouvrit le bureau, posa son sac et sa veste, badgea à la grosse porte métallique au fond du couloir et entra dans la nef sombre toute endormie. Seuls les écrans des ordinateurs brillaient dans l’obscurité, veilleurs de nuit imperturbables et toujours fidèles au poste. Romain tourna les quatre interrupteurs de l’éclairage au tableau électrique. La nef s’illumina progressivement, découvrant la grosse carcasse métallique et familière du moyen d’essais portant silencieusement ses vannes, ses détendeurs, ses lignes et conduites, chemins de câbles, poutrelles et escaliers, ses caillebotis. A plus de quinze mètres au-dessus de la plateforme d'essais, l’intensité des lampes au sodium augmentait rapidement, comme dans un jour artificiellement accéléré.

Romain ressorti du bâtiment prendre un pull dans sa voiture. Le parking était vide à cette heure. Là-haut, à l’étage, les trois rectangles de lumière des fenêtres du bureau poinçonnaient le bleu de la nuit. L’air était vif et très transparent. Bien avant les premières lueurs de l’horizon, à cette heure fragile du petit matin, on sentait que quelque chose dans la nuit encore noire allait céder à la pression du jour à venir. Ça se sentait. Quelque chose comme l’immobilité précaire de la mer à l’étale juste avant le reflux des eaux. Une belle journée se préparait. Expérience banale et émouvante du jour qui va se lever. Romain formula le souhait pour les années à venir, de ne jamais être écarté de ce moment magique, jamais! Que toujours, il puisse reprendre son souffle dans cet instant où les hommes appartiennent au Monde. 
 
Et puis, comme dans un flash, ses pensées s’assombrir. Les trois carrés de lumière du bureau lui évoquèrent subitement ceux des fenêtres de l’hôpital de Vernon que Romain ne manquaient jamais d’interroger quand il passait en voiture dans l’avenue, les matins d'hiver, pour se rendre à son travail. Il supposait des malades, des souffrants, des geignants, des cancéreux, des mourants derrière chacun des petits carrés jaunes perçant la façade du bâtiment.

-Peut-on encore goûter la paix magique d’un jour qui va se lever quand on est à l’hôpital, dans les chambres surchauffées, avec toute une plomberie qui s'enfonce dans les avant-bras, le bide et les trous de nez? Peut-être qui oui ... On doit pouvoir toujours s'évader hors-les-murs quand on sent que ça commence à craindre et qu'on veut rester quand même debout dans sa tête. Ça doit être possible.

Romain se ressaisit. Il n'était pas à l'hôpital! Non, pas encore! Un instinct de bête sauvage le replongea dans la profonde quiétude de ce petit matin. Il s'assit parterre, sur le bord du trottoir à l'entrée du bâtiment, face au silence. Il ne ressentait plus le froid. Et puis au bout de l’allée centrale, là-bas, il aperçu les phares des voitures de ses deux compagnons d'équipe qui s’annonçaient au poste de garde.

Romain retourna dans la nef, il fallait maintenant penser à préparer les essais de la matinée.

Aubevoye - 09/2015

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