F. Bacon - Trois études de figures au pied d'une crucifixion (détail de l'étude du milieu) 1944 - Tate Britain - London - 07/2015
FB - Mais je suis toujours très surpris lorsqu'on parle de la violence de mes toiles. Moi, je ne les trouve pas du tout violentes. Je ne sais pourquoi les gens pensent qu'elles le sont. Il y a un certain réalisme dans mes toiles qui peut peut-être donner cette impression, mais la vie est tellement violente, tellement plus violente que tout ce que je peux faire! On est tout le temps assailli par la violence, et aujourd'hui, avec ces millions d'images qui viennent de partout, la violence est partout et permanente.
Francis Bacon - Etude (détail) - 1972 - Tate Britain - 07/2015
FB - Oui, c'est vrai, j'ai le sentiment d'avoir passé la plus grande partie de ma vie seul. Mais en réalité ça dépend des circonstances. Si je travaille, je n'ai aucune envie de voir des gens, je n'ai aucune envie de recevoir des visites. C'est pour cela que la sonnette de mon atelier ne marche pas (...)
FB - Je préfère travailler le matin. D'ordinaire, je me lève tôt, vers six heures, et je travaille jusque vers onze heures ou midi, puis, après le déjeuner, je me donne quartier libre, je flâne, je vais dans les pubs et c'est vrai que j'y vais plutôt seul (...)
Francis Bacon - Entretiens avec Michel Archimbaud - JC Lattès - 1992
London - 07/2015
Je descends Regent Street et traverse Trafalgar Square à contre-courant de toute l'Extrème-Orient en goguette et contourne les grosses sonos des spectacles du parvis. Je file dans les rues. La circulation est dense. Partout dans la ville de l'info commerciale, sur les cabs, les panneaux lumineux géants, les camionnettes, les bus. C'est très agressif et c'est peut-être plus flagrant encore dans une ville étrangère où ne connaissons pas assez bien la langue pour décoder instantanément toutes ses offres, propositions, affaires à faire, rabais, remise, avantages divers, assortis de numéros de téléphone, d'adresses mail, de devis indicatifs, de promos. Les mots nous arrivent d'abord avec leur graphismes racoleurs. Nous les recevons pleine face avec leurs charges graphiques pures et brutales avant de nous attacher à les lire.
Je traverse devant un cab Vodaphone et je m'engouffre dans le pub d'hier. Cet après-midi, il est blindé, mais c'est vrai qu'il est déjà 5h30: sortie de bureau et bières entre collègues avant de rentrer.
Les voix des Anglais sont puissantes, remplissent la salle dans un brouhaha incessant. J'ai remarqué ça, que les Anglais ont des voix étonnamment puissantes. Même le petit vieux d'hier sur la banquette, que je retrouve cet après-midi au même endroit, il est épais comme un coucou mais ça tonne quand il parle à son voisin. Il y a quelque chose qui renvoie à l'idée de démocratie dans ces élocutions puissantes, comme l'expression de la force du Logos dans la Cité, renforcé par quelque atavisme de conversation à distance dans le fog matinal. J'y comprends rien, mais ça a de la gueule quand ils parlent! Pour le moment j'entends surtout des "skil-well-drake", des "fine-bol-dam-go", des "titch-go-yes-gloo", des "brane-break" dans le chaos de paroles qui remplit le pub. Je ne comprends rien! Je suis fatigué. J'essaye de mettre de la distance entre le bruit du pub et moi, mais il reste un whomwhomwhom continu, avec par moments des éclats de rires qui explosent à mes oreilles. Je peine à me faire entendre au bar avec ma voix de Froggy qui ne porte pas. Je m'assois dans un petit coin avec mon verre. La bière amère et fraiche coule dans ma gorge sèche et c'est un pur délice. Je sors mon carnet et commence à écrire. Je suis fatigué - fatigué - les premières gorgées de bière me basculent dans la ouate.
Une jeune femme plantureuse et belle propose des massages (dos, épaules) aux clients du pub. Sur son tee-shirt, il y a écrit "Massages for Charity": je comprends que c'est une opération de collecte de fonds. Elle masse à tour de rôle trois hommes attablés en chemises blanches et costumes noirs. Ils se laissent faire, for Charity I suppose, blaguent et rient fort pour garder une contenance sous les mains de la jeune femme. Ils tournent au rouge pivoine quand vient leur tour. La jeune femme parle beaucoup, explique, commente ses gestes, peut-être pour désamorcer ce qu'on pourrait imaginer d'elle, d'eux, d'elle avec eux, d'eux avec elle devant les autres; une autre expression de la puissance de la parole.
J'ai mal au dos mais je ne donnerai pas pour the Charity aujourd'hui; je suis dans ce pub comme Francis, je veux être seul.
London - Aubevoye 07/2015
London 07/2015
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