Je marche dans la ville, un trou dans le ventre. Je pourrais m'engloutir dans ce trou si je me laissais aller. Alors je marche. Je marche pour ne pas rester au bord, avoir le vertige.
Je marche dans la ville et je hume les odeurs lourdes des frites et des kebabs, le parfum entêtant et sucré d'une femme qui s'est habillée pour sortir. Elle est avec un type assez grand, qui a l'air ailleurs, et qui pianote sur son portable. Je hume l'odeur d'une clope qu'on grille à côté de moi, le goût acre de la bière du pub bondé où ils hurlent leurs commandes au bar dans le vacarme de la sono. Il y a les phares des autos qui s'enfoncent à l'infini dans la perspective verticale de la chaussée mouillée. Il y a les trois jeunes couples rigolards qui sont ensembles et qui se pressent à la porte d'un petit restaurant blindé. Le bruit énervant d'un scooter qui vient d'escalader le trottoir pour stationner. Une pub nulle sur un écran géant. Un clodo sous des cartons. Un beau mec gominé avec des joues creuses et des chaussures pointues explique un truc à un petit type avec une coupe de douille des années 80 dans un blouson trop grand. Le beau mec est une cruche, mais il ne le sait pas. Le petit type à un regard malin, mais il ne le sait pas.
Je marche.
Mes pas claquent sur le pavé. Je prends tout ce qui passe, tout ce qui me croise, toute cette gaité et toute cette poisse. Je prends tout pour combler le trou. Je crois que je pourrais engloutir une ville entière!
Aubevoye 2015

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