Ile d'Hoedic 07/2013
Je ne suis pas historien de l'Art et ceci n'est pas une esquisse de thèse, mais simplement quelques pistes de réflexion que je propose...
Si l'Homme a été
façonné à l'image de Dieu, alors la figuration en peinture relève du divin. Ainsi l'objet n'existe et ne se révèle à nous que parce qu'il est modelé, silhouetté par cette lumière qui baigne le Monde. Fiat Lux ! Dans la technique des modelés et des clairs-obscurs de la représentation classique, même profane, il y a toujours au fond ce pré-supposé de l'existence d'un Dieu pour offrir le réel par sa lumière.
Aujourd'hui, on ne fait plus de
métaphysique dans l'Art contemporain parce qu'on ne s'intéresse
plus à la religion dans nos sociétés occidentales. Les cieux
sont désenchantés au sens propre du terme. Ils n'ont plus guère de sens que pour les astrophysiciens.
A la limite, le profane peut les trouver beaux, vertigineux,
cataclysmiques, comme une gigantesque attraction d'un maxi-futuroscope, mais nul
Dieu n'y habite plus pour donner du sens à tout ça!
Les sous-sols sont tout
aussi déserts que les cieux. Plus d'Hadès menaçant, ...
Entre ces deux déserts
l'Homme déambule seul avec ses objets, ses expériences, ses
impressions, ses sociétés, ses questions. Qu'est-ce qu'un homme en fait? Qu'est-ce
qu'une vie d'homme? Des photos qui se voilent, quelques vêtements en tas, une
collection de petits effets personnels pour Christian Boltanski, une stature
debout qui avance pour Giacometti, des visages impénétrables pour
Thomas Ruff?
Avec le vide au-dessus de la tête et le vide sous les pieds, telles ces
architectures modernes aux planchers et plafonds de verre, certains artistes cherchent aujourd'hui à retrouver une prise sur le Réel par l'Intime. Nos sociétés occidentales mesurent aujourd'hui souvent la force d'une
œuvre plus a sa charge d'intime et d'évocations personnelles, qu'à sa capacité, comme jadis, à s'exprimer avec des codes et des mythes partagés par tous. Parfois au risque de se perdre dans une psychologie hermétique.
Sans Dieu ni métaphysique, et hors de l'Intime que reste-il?
Il reste le grand questionnement ontologique! C'est quoi le réel? Est-ce
que je peux y accéder avec mes sens, donc avec les Arts plastiques?
Est-ce qu'il existe vraiment des objets en soi? Est-ce que mes sens sont opérants pour les saisir? Est-ce que ça fait sens? etc...etc... L'Art
contemporain a excellé dans cette problématique.
Quand l'Art contemporain revient à la figuration, c'est en abandonnant
les modelés pour les approches à la Picasso, Bacon ou Baselitz. On ne
nimbe plus le motif dans la lumière pour révéler les formes, mais on
l'affouille, on le creuse, on le cherche avec la touche du pinçeau de
l'intérieur, depuis la matière, depuis la substance, depuis ce qui
pourrait être son réel.
De même les œuvres d'Art contemporaines se déploient devant, autour et avec le
spectateur. Elles se concentrent dans des espaces clos (le piano de Beuys à Beaubourg par exemple)
ou s'atomisent dans les salles. Il y a toujours des stratégies qui prennent les objets dans des jeux de couleurs, dans des effets d'échelle, des trompe-l’œil de matière, des sorties du cadre (au sens propre du terme dans les installations), mettant les sens du spectateur en alerte sous l'effet de la surprise. L'Art contemporain scandalise, émeut, déboussole le spectateur et le rend ainsi un peu moins spectateur, et un peu
plus acteur dans sa relation aux œuvres.
Au sortir d'une salle d'expo d'Art contemporain, dans le large patio qui mène à l'escalier, je me prends à observer un extincteur réglementaire accroché au mur. Une fraction de seconde, sous l'effet d'un doute, d'une indétermination de ma localisation par rapport aux œuvres exposées, je me demande si cet extincteur ne serait pas encore un élément périphérique d'une des installations exposées!
C'est une situation moins ridicule qui n'y paraît, car à
l'instar de la pensée philosophique, l'Art contemporain dépouille
les choses ordinaires de l'habitude pour les montrer dans leur énigmatiques présences au monde. Le temps d'une expo, cette conscience du réel qui vous hurle sa présence, amène à son tour le visiteur curieux à la conscience de sa propre et énigmatique (certains ont dit: Absurde) présence au monde.
C'est cette même sensation que l'on éprouve devant la Montagne Sainte-Victoire de Cézanne, dans la contemplation solitaire et silencieuse du monde après une dure journée de marche en montagne ou assis sur une plage désertée, face à la mer. Il se pourrait bien que les smart-phones se soient trompés de côté pour placer sur le boitier l'objectif photographique dédié au selfies.
Aubevoye 04/2015

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