Apr 26, 2015

J'ai un Jovial Jogger Jaune

Entre Villers-sur le Roule et Venables

Les matins en semaine, vers 8h30, je croise en voiture depuis quelques temps un homme à la sortie de Venables et qui fait son jogging sur la route des Andelys. Je le repère de loin parce qu'il porte un large coupe-vent jaune et une casquette, jaune aussi. Des vieux trucs publicitaires un peu passés.

Il y a une dizaine de jours, il m’a fait un signe comme nous nous croisions sur la route. Je ne sais pas pourquoi il m'a salué. Peut-être parce que je n’ai pas trop serré ma droite et que je lui ai laissé de la place? Je me suis peut-être même un peu déporté vers le milieu de la route avant d'arriver à sa hauteur. Je me rappelle pas, mais je sais que c'est fort possible car je le fais souvent quand je suis en voiture et que je croise quelqu'un à pieds. 
 
Donc, je disais que je ne sais pas pourquoi il m’a fait signe, mais du coup, le lendemain matin, c’est moi qui lui ai fait un petit coucou, comme ça, spontanément, et sa grosse face rouge de sueur s’est illuminée d’un large sourire ! Ce type me fait penser à un boucher! Je l'imagine courant dans les champs de Venables en Nike, chemise bleue-pied-de-poule-cravate, tablier blanc croisé sur le torse, crayon sur l'oreille et torchon à la ceinture (mais sans les couteaux). 
 
Je lui dis:
    - Bonjour! 
 
Il me répond:
   - Bonjour! Et avec ça? 
   - Avec ça, ça va! Et vous?
  -  Oh! Moi ça va bien! Je retrouve mon souffle, mais c'est encore un peu tôt pour allonger la foulée!  Et avec ça?
  - Belle journée pour courir, non?
  - Oui, ça sent le Printemps! C'est agréable! Et avec ça?

J'arrête là ces hypothèses infondées. Mon homme n'est probablement pas un boucher. En tout cas, ce matin, il a reconnu ma voiture et m’a répondu par un grand geste qui a dû lui coûter beaucoup parce que visiblement, il court dans l’effort. C'était un grand, grand salut du bras et j'ai vu dans mon rétroviseur qu'il a pris du temps après que je l'ai dépassé, pour replier son bras et revenir tout à sa course. Un peu comme les camionneurs qui saluent crânement les filles ou les copains en laissant longtemps flotter leur main gauche hors de la portière quand ils poussent le régime du moteur au démarrage, parce que c'est pas encore le moment de changer de vitesse et qu'ils profitent du bras de libre pour la frime, la drague ou les civilités de l'amitié. « Tchao! A la revoyure Baby! »

J'arrête là ces hypothèses infondées. Mon homme n'est probablement pas un camionneur. Il doit avoir la soixantaine, corps lourd, épaissi et fatigué par des abus de toute sorte. S’il a été sportif, c’était sûrement il y a longtemps. Il doit vouloir raccrocher un fond de forme physique, se ressaisir, retrouver un souffle après avoir arrêté de fumer. Pour le moment c'est: foulée courte (presque de la marche), mais bon maintien du buste et des bras. Il sait ne pas éparpiller son énergie. C'est pas un complet novice. 
 
Quand je dis qu’il a arrêté de fumer … je suppose! Mais je sais rien de lui! Je ne le connais pas ! En fait, on se connait pas et en même temps on se connait un peu puisque c’est un homme que je suis heureux de saluer chaque jour maintenant et qu'il est heureux de me saluer! Je l’attends sans l’attendre, mais je l’attends quand même. 
 
Lui, pareil. 
 
Et avec ça?

Avec ça ? Rien! 
 
C’est tout! 
 
On est content de se saluer.
Aubevoye 04/2015

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