Entre Villers-sur le Roule et Venables
Les matins
en semaine, vers 8h30, je croise en voiture depuis quelques temps un
homme à la sortie de Venables et qui fait son jogging sur la route des Andelys. Je le repère de loin parce qu'il porte un
large coupe-vent jaune et une casquette, jaune aussi. Des vieux trucs
publicitaires un peu passés.
Il y a une
dizaine de jours, il m’a fait un signe comme nous nous croisions
sur la route. Je ne sais pas pourquoi il m'a salué. Peut-être parce
que je n’ai pas trop serré ma droite et que je lui ai laissé de
la place? Je me suis peut-être même un peu déporté vers le milieu
de la route avant d'arriver à sa hauteur. Je me rappelle pas, mais
je sais que c'est fort possible car je le fais souvent quand je suis en voiture et que je
croise quelqu'un à pieds.
Donc, je
disais que je ne sais pas pourquoi il m’a fait signe, mais
du coup, le lendemain matin, c’est moi qui lui ai fait un petit
coucou, comme ça, spontanément, et sa grosse face rouge de sueur
s’est illuminée d’un large sourire ! Ce type me fait penser
à un boucher! Je l'imagine courant dans les champs de Venables en
Nike, chemise bleue-pied-de-poule-cravate, tablier blanc croisé sur
le torse, crayon sur l'oreille et torchon à la ceinture (mais sans
les couteaux).
Je lui dis:
-
Bonjour!
Il me
répond:
- Bonjour!
Et avec ça?
- Avec
ça, ça va! Et vous?
- Oh! Moi
ça va bien! Je retrouve mon souffle, mais c'est encore un peu tôt
pour allonger la foulée! Et avec ça?
- Belle
journée pour courir, non?
- Oui, ça
sent le Printemps! C'est agréable! Et avec ça?
J'arrête là
ces hypothèses infondées. Mon homme n'est probablement pas un
boucher. En tout cas, ce matin, il a reconnu ma voiture et m’a
répondu par un grand geste qui a dû lui coûter beaucoup parce que
visiblement, il court dans l’effort. C'était un grand, grand salut
du bras et j'ai vu dans mon rétroviseur qu'il a pris du temps après
que je l'ai dépassé, pour replier son bras et revenir tout à sa
course. Un peu comme les camionneurs qui saluent crânement les
filles ou les copains en laissant longtemps flotter leur main gauche
hors de la portière quand ils poussent le régime du moteur au
démarrage, parce que c'est pas encore le moment de changer de
vitesse et qu'ils profitent du bras de libre pour la frime, la drague
ou les civilités de l'amitié. « Tchao!
A la revoyure Baby! »
J'arrête là
ces hypothèses infondées. Mon homme n'est probablement pas un
camionneur. Il doit avoir la soixantaine, corps lourd, épaissi et
fatigué par des abus de toute sorte. S’il a été sportif, c’était sûrement il y a
longtemps. Il doit vouloir raccrocher un fond de forme physique, se
ressaisir, retrouver un souffle après avoir arrêté de fumer. Pour
le moment c'est: foulée courte (presque de la marche), mais bon
maintien du buste et des bras. Il sait ne pas éparpiller son
énergie. C'est pas un complet novice.
Quand je dis
qu’il a arrêté de fumer … je suppose! Mais je sais rien de lui!
Je ne le connais pas ! En fait, on se connait pas et en même
temps on se connait un peu puisque c’est un homme que je suis
heureux de saluer chaque jour maintenant et qu'il est heureux de me
saluer! Je l’attends sans l’attendre, mais je l’attends quand
même.
Lui, pareil.
Et avec ça?
Avec ça ?
Rien!
C’est
tout!
On est
content de se saluer.
Aubevoye
04/2015

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